17/18/19/20 Août 1937 – 13 Mai 2022 – Klatovny – Regensburg
17/18/19/20 Août 1937 – 13 Mai 2022 – Klatovny – Regensburg

17/18/19/20 Août 1937 – 13 Mai 2022 – Klatovny – Regensburg

Nous avons trouvé deux œufs encore tièdes au bas de l’échelle qui conduit à notre chambre à coucher aérienne. Nous les avons portés à la fermière. C’est tout juste si nous avons pensé à les gober. Nous les avons portés à la fermière. Nous ne sommes donc pas des pillards. Personne ne l’eût su. Seulement, ces braves gens nous ont fourni gîte, pendant notre circuit, ils nous ont lavé notre linge (contre rémunération bien entendu). Alors … Nous les avons portés à la fermière.

La matinée est employée à refaire les paquetages et à remettre les bicyclettes en état. Les changements de vitesse subissent une révision complète. Pat perd quelques billes. Je tire un petit fil qui dépasse sans qu’on sache pourquoi. Pat lève les bras au ciel et se met presque en colère. Le petit fil métallique que j’ai malheureusement arraché était un ressort de dérailleur. Nous finissons par le retrouver. Pat s’emploie à lui rendre une forme raisonnable au moyen d’une pince. Autant vaudrait essayer de lire l’heure sur une pendule sans aiguilles et sans cadran. Encore aurait-on plus de chance de réussir. Pat a réussi. Grâce à lui, je ne serai pas obligé de pédaler sur mon pignon fixe pendant un nombre inconnu de kilomètres.

Les cautionnements, soient neuf cents couronnes tchèques, nous sont remboursés. Divers achats réduisent notre fortune à huit cents cinquante couronnes. Il nous reste 1,19 RM (environ 8,50 Frcs) pour parvenir à Regensburg, à cent onze kilomètres, là où se trouve la première banque qui puisse nous régler en « Reisencheck ».

Nous voici revenus à la douane allemande que nous avons quittée il y a dix jours.

  • « Geld ? Argent ?
  • Oui … Argent allemand : 1,19RM
  • Argent tchèque : 850 krönen
  • Argent français ?
  • Kein …
  • Pas d’argent français et vous êtes français … A quel nom la déclaration de devises ?
  • Quel est le Führer ?

Nous n’avons pas de chef. Nous sommes tous trois le chef … »

Le douanier est ahuri : ils sont trois et ils n’ont ni chef, ni serre-file. Ils sont fous.

Nous repassons devant la Gasthaus du joueur de cithare. Nos moyens ne nous permettent pas d’entrer malgré toute l’envie que nous en avons.

Waidhaus … Vohenstrauss … Werneberg … Nabburg … Nous rencontrons des soldats. Il y en a partout : dans les maisons, sur les routes, au milieu des champs, construisant des passerelles sur les rivières, conduisant d’énormes camions camouflés, installant des lignes téléphoniques. Les officiers portent un brassard rouge.

Nous sommes tout simplement tombés au milieu des grands manœuvres.

Schwarzenfeld … Nous nous procurons de l’eau. Il n’est pas question de faire des dépenses somptuaires pour la nourriture. Nous nous enfonçons dans les bois par un chemin raboteux, troué, aux ornières pleines d’eau, qui nous mène près d’un étang dont le pourtour est déboisé sur une centaine de mètres. Seuls, quelques bouleaux mélancoliquement penchés, se mirent dans les eaux calmes.

C’est là que je finis par m’arrêter, affamé, devant une pizzeria. Cela fait déjà presque 1 heure que je traverse de petits villages sans aucun restaurant, je ne vais donc pas faire la fine bouche. Et ma fois, la pizza au thon n’est pas si mauvaise (l’autre choix était la pizza hawaïenne avec pain de rondelles d’ananas tièdes )

Notre dîner nous est fourni par deux champs, l’un de pommes de terre, l’autre de maïs. Une biche s’échappe de ce dernier et se lance à la nage…

Nous mangeons sans pain des patates à l’eau et des épis de maïs.

Nous allons ensuite nous coucher dans l’herbe mouillée, entre deux étangs, sur une peine de l’eau. Des grenouilles sautent, puis, n’entendant rien bouger, reviennent à leur place. Trois masses sombres glissent à la surface de l’étang. Pat me souffle à l’oreille : « des canards sauvages ». Elles s’approchent de nous puis s’éloignent sans nous voir.

Le ciel est clair, étoilé. La voie lactée met là-haut comme une large bande blanche faite d’une poussière d’astres. La fraîcheur nous tombe sur les épaules. Un frisson nous parcourt. Nous rentrons.

Pat attise le feu dont la flamme monte bientôt claire et joyeuse. Mes deux compagnons se sont accroupis méditativement. Ils sucent avec application le tuyau de leur pipe. A chaque bouffée, sur visage apparaît violemment creusé d’ombres, puis disparaît jusqu’à la bouffée suivante …

Le monde est bien loin de nous, quelque part, là-bas, dans la nuit …

20 Août 1937 : Page 4

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