8/9 Septembre 1937 – 20 Mai 2022 / Freibug / Strasbourg
8/9 Septembre 1937 – 20 Mai 2022 / Freibug / Strasbourg

8/9 Septembre 1937 – 20 Mai 2022 / Freibug / Strasbourg

85 km

Harslach … Biberach … Nous dévalisons un pommier, plus pour le plaisir que pour manger des fruits. Aujourd’hui, tout est permis. Le soleil s’est mis de la fête. Il réchauffe l’air qui tremble imperceptiblement.

Nous chantons. Nous chantons n’importe quoi, mais enfin, nous chantons. Je crois même, sans en être bien sûr, que nous avons entonné la Marseillaise.

©Geneanet sous la licence : CC-BY-NC-SA 2.0 Creative Commons

Gegenbach … Offenburg … C’est le moment de faire des provisions de souvenirs pour nos amis français. Nous achetons surtout du tabac et des cigarettes. Je me munis aussi d’un solide poignard hitlérien fabriqué à Solingen.

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Kehl am Rhein … C’en est fini de l’Allemagne. Je passe sans difficulté ce qui reste de mes rentes marks et de mes deux cents cinquante francs.

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Tous les villages ont été modernisés et je ne retrouve aucune des images du passé. Je ne cherche peut-être pas suffisamment, mais il fait 32°C et j’ai hâte d’arriver à l’hôtel pour me rafraîchir et me reposer.

Sur le pont, nous ralentissons un peu à la ligne blanche qui marque le milieu et puis filons d’une traite à la douane française.

  • «  – Rien à déclarer ?
  • Si, nous avons un jeu de cartes qui n’est pas estampillé. Nous voudrions bien l’emporter avec nous. C’est un souvenir. (Nous montrons un vieux jeu réclame, acheté au Luxembourg et que nous sacrifions pour cette circonstance.)
  • Je ne peux pas vous le laisser …
  • Monsieur le douanier … (suit toute une série d’histoires propres à l’émouvoir)
  • Qu’est-ce que vous avez là ?
  • Les couvertures …
  • Et là ?
  • Les outils et les boyaux de rechange …
  • Et là ?
  • Ce n’est que le linge sale …
  • Bon, ouvrez-moi ce sac … »
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Il s’agit du sac imperméable que je traîne sur mon porte-bagage. Je l’ouvre. Le douanier y plonge la main et bouleverse un peu le contenu.

Nous nous regardons tous trois. Je sens la sueur qui, brusquement, me dégouline en rigoles dans le cou et me ruisselle sur le front. Mon cœur me semble faire un bruit épouvantable ….

« – Bon, ça va, vous pouvez passer »

Nous ne nous faisons pas répéter deux fois l’invite. Nous sommes à peine parvenu à la porte que l’on nous rappelle :

« – Tenez, et puis vous pouvez garder votre vieux jeu. Je vous en fait cadeau … »

Pour nous remettre de nos émotions, nous allons savourer un demi bien gagné.

Le mien m’est offert en courtoisie par l’hôtel, IBIS comme il se doit, situé à la limite de la Petite France.

Le sac imperméable contenait vingt-quatre paquets de cigarettes, trois paquets de tabac, deux briquets. Nous avons passé en outre cinq paquets de cartes dans nos portefeuilles… Il eût suffi que le douanier plongeât la main un peu plus profondément et nous connaissions la paire humide des cachots.

Chez T…, nous sommes accueillis par les cri de : « Les voilà » suivi aussitôt de « Ce qu’ils sont sales ! »

Elfriede nous prépare rapidement une collation pendant que nous changeons de costume et prenons un bain.

Gédéon, Marthe et une petite que je vois pour la première fois, nous regardent engloutir le pain, le beurre, la confiture, les gâteaux avec des yeux qui en disent long sur leur étonnement et l’inquiétude secrète qui les hante que nous leur fassions suivre le même chemin.

Albert arrive tout joyeux et nous souhaite la bienvenue avec son fort accent alsacien. A présent, c’est Marianne qui arrive. C’est maintenant une vraie demoiselle. Ce qui la choque surtout, c’est ma barbe. Elle répète continuellement :

« Oh, ta mère, ce qu’elle va être étonnée ! »

En attendant, elle me tire les poils qui m’ornent le menton.

Marianne a reçu une lettre d’une amie. Il est question de moi en termes élogieux et outrés. Marianne a certainement exagéré nos exploits. Sa camarade, qui sort du couvent, a encore grossi et embelli ses histoires. Il n’en faut pas plus pour qu’elle ait fait de mois un héros de roman. Elle en eût fait un de Pat ou de Jacky, mais, Marianne ne les connaissant pas, les a laissés dans l’ombre …

Après un dîner pendant lequel nos hôtes ont suivi avec effroi la disparition des aliments qui couvraient la table, nous passons dans le cabinet de travail d’Albert. Pendant que mes camarades discutent avec lui et examinent des brochures, je flirte un peu avec Marianne, jusqu’à ce qu’un jeune médecin, son fiancé, vienne nous rendre visite.

A vingt-deux heures, nous allons nous coucher. A vingt-deux-heures trente, nous comprenons que tous nos efforts pour dormir seront vains. Nous faisons des réussites, parlons de choses et d’autres, établissons des projets pour l’année prochaine. Pat sort nos cartes routières. Il semble faire des calculs … Il relève la tête, nous regarde, et laisse tomber :

«  Si nous allions en Angleterre ? »

A notre tour, nous faisons des calculs, cherchons des itinéraires. Le projet est très réalisable. Nous envisageons tous les aspects du problème : côté financier, côté kilométrage et côté temps …

A deux heures du matin, nous avons arrêté tous les détails. Nous partirons de Strasbourg le dix et passerons par Saverne, Metz, Verdun, Reims, comme si nous voulions rentrer à Paris. A Reims, nous enverrons une carte dans nos familles respectives portant : « A bientôt » et nous filerons sur Dieppe où nous embarquerons pour New-Haven.

Pat sait même où nous laisserons nos bagages encombrants : à Beauvais. Tout est pour le mieux. Nous irons en Angleterre …

Notre enthousiasme est à son comble. Nous dansons. Nous sautons. Nous rions. Nous sommes fous …

9 Septembre 1937 : Page 2

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