Suippes … Nous nous attardons dans les champs à chercher des vestiges de la dernière guerre … C’est à peine su quelques tranchées comblées et quelques morceaux de fil de fer barbelé rappellent aux hommes qu’on s’est battu là …
La Pompelle … Nous sommes trempés. Le vent nous coupe les jambes. Il n’est plus question d’aller en Angleterre. Notre bel enthousiasme est tombé. Nous n’avons plus qu’une hâte : échapper à la pluie, au vent, au froid et rentrer à Paris…
Quelques rares touristes, emmitouflés dans de gros manteaux, arpentent en tout sens l’énorme butte blanche qui fut le fort de la Pompelle. Deux autres contemplent d’un œil distrait un char de combat allemand dont il ne subsiste que la carcasse. Ils se font photographier sur toutes les coutures dans des poses avantageuses. Le cœur n’y est pas. Ils songent à la salle bien chaude et au plantureux repas qui les attendent à Reims …
Reims … Nous rentrons par le train jusqu’à Paris.
Dans notre compartiment, en plus de nous, il y a un vieux monsieur et deux dames d’âge indéfinissable. Pat déballe les fanions si consciencieusement cousus à Strasbourg, et se met en devoir de les enfiler sur une longue ficelle. Ses efforts intéressent prodigieusement nos compagnons de voyage. Le vieux monsieur nous offre son porte-mine pour faciliter l’opération et une des deux dames d’âge indéfinissable une épingle à cheveux. Maintenant, ils écoutent nos histoires et se demandent visiblement s’ils doivent nous croire ou nous faire comprendre qu’ils ne sont pas dupes …
Paris … Nous retrouvons nos bicyclettes que nous nous hâtons de libérer du joug des employés de chemin de fer qui les maltraitent. Nos guirlandes de fanions restent au fond du sac de Pat. Nous n’avons pas besoin d’elles pour attirer les regards. Nous sommes suffisamment barbus, crottés, terreux, brunis, sauvages et originaux pour cela …
Nous stoppons rue de la Pompe devant une épicerie-fruiterie. Nous sommes chez Jacky. Un sac en papier à la main, ce monsieur qui parle tranquillement avec un client, c’est son père. Justement, il se tourne vers nous, s’arrête net au milieu d’une phrase, se frotte les yeux …
« Ah ! le cochons … »
Cette exclamation lui échappe et déchaîne nos rires …
J’étais trop proche de la maison pour ne pas avoir envie d’arriver, alors j’ai roulé sans musarder, comme souvent dans de telles occasions.
Ça n’a pas été mon plus beau voyage : peu de paysages vraiment magnifiques, des villes ou des villages tellement bombardées et/ou modernisés qu’ils présentent peu d’intérêt, une « gastronomie » … (vous avez dit gastronomie ?), un coût parfois exorbitant ; mais j’ai néanmoins pris du plaisir à parcourir leur trace et à découvrir mon père sous un autre jour.
Surtout, je suis admiratif :
- 3600 km avec des vélos chargés et relativement fragiles, mais heureusement réparables,
- des faux plats, voire des pentes interminables, sans parler des cols alpins,
- des problèmes de nourritures, d’hébergement
- des passages de frontières qu’on ne retrouve plus qu’en Amérique latine ou centrale, que dans les pays en « STAN » ou autres,
- un climat politique et social peu favorable
Ils ont su surmonter tout ça dans la bonne humeur.
Pour ma part,
- j’ai souvent dû chercher pour trouver les postes frontières,
- l’euro et la CB m’ont délivré des soucis d’argent, de change et autres horaires d’ouverture des banques,
- ma bécane, plus puissante que la précédente, m’a permis d’avaler les pentes sans souci, ce qui se traduit, in fine, par un voyage 3 fois plus rapide que le leur,
- j’ai suffisamment de ressources pour pouvoir juger de la qualité d’un hôtel et d’un repas, évitant ainsi d’avoir à voler des pommes de terre
Notre équipée est terminée … Pat, Jacky et Bob vont se séparer pour rentrer chacun dans leur foyer … Ils vont redevenir des êtres normaux …
Paix à leurs cendres … Avec ce journal de route finissent, du moins provisoirement, Pat, Jacky et Bob …
* *
Fin
* *
Informations
Distance parcourue
274 km
Durée totale
4 heures 15 minutes
Durée de roulage
4 heures 15 minutes
Moyenne
61 km/h
Vitesse maximale
126 km/h
Activités
Total marche : km
Essence
SP 98
Quantité 16,8l
Prix : 36,90 €
Merci Patrice pour ce journal de voyage. J’ai apprécié celui de ton père qui est vivant et parfois amusant. J’ai été impressionnée par le style, par les temps ou les tournures que l’on n’utilise plus guère. Et cette épopée est remarquable, comme tu le dis notre style de vie est bien plus confortable (j’ai moi même loué des vélos électriques).
Bon retour et à bientôt
Merci Ghislaine pour ton appréciation
Le vélo électrique, il faut quand même pédaler : c’est plus « sportif » que la moto
Il est tout aussi vrai que le vocabulaire a légèrement changé
Yo Man 😉
Standing ovation après le clap de fin.
C’était mieux qu’un roman.
Et puis cela donne un certain regard sur une époque.
Merci encore d’avoir partagé ce « trésor » familial
Merci, mais je n’y suis pas pour grand-chose. C’est surtout eux qui ont fait le show 👍